Raphael Confino, fondateur de L’Autre Rive
« Le métier funéraire, c’est une somme de petites attentions »
Au début des années 2000, il n’a pas hésité à quitter l’entreprise de son père pour réinventer
l’art funéraire. Après un passage chez Roblot, histoire d’apprendre les bases du métier,
il crée L’Autre Rive, à Paris – une agence de Pompes funèbres totalement atypique, avec des offres jamais vues ailleurs. Raphaël Confino a mené la barque de L’Autre Rive pendant
une dizaine d’années, avant de se lancer dans un autre (vaste) projet, la mémorialisation
de notre civilisation. Pour Lysanera, il a accepté de faire le bilan de cette expérience pionnière,
qui a marqué le début d’un renouveau des pratiques funéraires.
Quel était votre état d’esprit en 2001, lorsque vous avez créé L’Autre Rive ?
Raphaël Confino. Je poursuivais deux objectifs : le premier était personnel, le second sociétal.
J’étais dans ma vingtaine, mon travail avec mon père m’occupait énormément, et j’avais l’impression de passer à côté des
choses essentielles de la vie. Je me suis dit qu’en étant directement en contact avec des gens touchés par le deuil et la
mort, je pourrais découvrir ces choses-là, je pourrais mieux appréhender le sens de la vie.
Par ailleurs j’avais assisté à diverses funérailles, qui avaient été autant d’expériences d’autant plus décevantes que dans ma
famille, nous sommes plutôt non-croyants. Ces cérémonies funéraires non religieuses, ça ne ressemblait vraiment à rien !
Je me suis alors demandé s’il existait une entreprise qui organisait des cérémonies un peu plus signifiantes. Comme je n’en
ai trouvé aucune, j’ai décidé de la faire moi-même.
En adoptant dès le départ une démarche très innovante, mais aussi très professionnelle…
R.C. Oui, pour faire les choses bien, il fallait les faire à fond. J’ai eu la chance de pouvoir travailler chez Roblot, qui assurait
des formations très sérieuses, puis de pouvoir investir pour monter une agence à part entière, qui accueillerait les familles dans
un environnement ni triste ni funèbre, mais dans un cadre lumineux, avec des gens souriants. Un lieu simple, où les familles
pourraient prendre le temps de s’exprimer.
Et, de fait, mon ambition était de réinventer entièrement l’univers funéraire, de l’urne au corbillard en passant par le cercueil et les
faire-part, mais aussi les cérémonies, les obsèques, la façon de vivre le dernier adieu et donc, aussi, la mémoire qu’on pourrait
en conserver…
Des ambitions à la réalité, comment s’est déroulé le passage ?
R.C. Ma première décision réaliste, si je puis dire, a été de suivre le conseil d’un professionnel, qui m’avait signalé un
emplacement à Paris, à côté de l’hôpital Cochin. A l’origine, j’avais pensé m’implanter dans un quartier commerçant
et animé, certainement pas à côté d’autres agences de pompes funèbres au pied d’un hôpital… Or, je dois reconnaître que si je
n’avais pas suivi ce conseil, j’aurais fermé boutique après six mois ! A Cochin, j’ai eu la chance de tomber sur un hôpital qui recommandait aux familles endeuillées de faire faire plusieurs devis. Donc les gens venaient chez nous aussi. Et comme
je prenais le temps nécessaire pour les recevoir, que je ne les poussais pas à la consommation ni à une décision immédiate,
dès le début, 80 % des familles passées par l’agence signaient un contrat chez nous.
La concurrence a dû vous regarder d’un œil noir…
R.C. Non, dans le secteur funéraire, on me regardait plutôt comme un OVNI. Je pense qu’en réalité, ce n’était pas pour déplaire
à la profession qu’un trublion débarque ainsi dans le métier et fasse parler des pompes funèbres dans une approche nouvelle
et, surtout, positive. J’ai eu, en effet, pas mal d’échos dans la presse : c’était une aubaine pour les journalistes de pouvoir parler de
ce secteur sous un angle original. Dans le même temps, je n’avais qu’une part de marché très marginale, donc je ne représentais
pas une menace commerciale. Moyennant quoi, on m’a laissé très libre de travailler comme je le voulais, sans me faire de coups
tordus, pas que je sache tout au moins.
Comment la clientèle a-t-elle réagi en découvrant des pompes funèbres aussi décalées ?
R.C. Je m’attendais à avoir beaucoup de demandes hors normes, mais j’ai
rapidement constaté que très peu de gens arrivaient avec une une idée précise.
C’était donc à moi de leur faire des propositions. Puis j’ai compris qu’il fallait
proposer des choses somme toute classiques, mais en y incluant la possibilité
d’une personnalisation, forte parfois. Si j’en étais resté à une offre exclusivement
hors du commun, je me serais privé d’une grande part de la clientèle.
Je pourrais comparer cela à l’échiquier politique : si vous n’avez que deux candidats,
le premier plutôt conservateur et le second très à gauche, les gens modérés vont
hésiter à aller très à gauche et risquent d’aller vers le conservateur. Je me suis
placé dans cet espace vacant en couvrant aussi l’aile gauche... C’est une image
bien sûr !
Pour ce qui de la touche personnelle, tout était possible ! Sans nécessairement
tout bousculer. Nous avons eu le cas, par exemple, d’une artiste peintre qui
voulait peindre le cercueil de sa mère – une idée impensable pour le reste de la famille, fermement attachée au cercueil en
chêne classique. Alors nous avons donné la possibilité à cette artiste de peindre le dessous du couvercle du cercueil
– une œuvre vraiment réservée à la défunte donc. Une solution qui a satisfait tout le monde…
L’Autre Rive est donc restée très différente de ses concurrents ?
R.C. L’une de nos grandes différences avec les autres agences, c’est que nous étions les seuls, en tout cas à Paris, dont le maître
de cérémonie était la même personne que celle qui avait accueilli les familles lors du premier contact. Dans les autres réseaux,
un agent commercial reçoit les familles et recueille leurs souhaits, qu’il transmet ensuite de façon très lapidaire au maître de
cérémonie. Le jour des obsèques, celui-ci ne connaît donc pas les familles, il n’a pas pu échanger avec elles et ne connaît pas vraiment leur état d’esprit ni la personnalité du défunt. Cette logique de spécialisation des tâches rend l’organisation de l’agence
plus facile : on a une personne qui reste sur place, une autre qui se déplace. Mais elle est un énorme obstacle à la personnalisation des cérémonies et à l’implication réelle des familles.
Nous avons toujours refusé cette division du travail, malgré les contraintes d’organisation et de recrutement – c’est moins facile
de recruter des gens capables d’assurer à la fois l’accueil commercial
et l’animation de la cérémonie. Et nous avons toujours
encouragé les familles à s’impliquer le plus possible. Nous leur
donnions d’ailleurs un document qui présentait tous les gestes qu’elles
pouvaient prendre en main, afin de participer concrètement aux funérailles.
J’ai toujours considéré que ce moment des obsèques leur appartenait et
j’ai organisé l’Autre Rive pour que les famille puissent s’approprier pleinement
les derniers moments autour du défunt.
Parce que le moment de la cérémonie rest primordial ?
R.C. Bien sûr. L’objectif principal a toujours été que les gens gardent de la cérémonie le souvenir d’un beau moment de partage,
de chaleur, d’amour. On sait que le chemin du deuil est long, qu’il il peut durer des années. Il faut que les obsèques
interviennent comme un moment sur lequel les gens puissent s’appuyer pour parcourir ce chemin, pas comme un grain de sable
qui le rende encore plus pénible. Or, le moindre incident au cours des obsèques peut tout gâcher et laisser des traces pendant
des années. Alors quand les familles vous remercient, parce que les funérailles que vous avez organisées avec elles les aident
à surmonter la douleur, c’est la plus belle satisfaction que les gens du métier peuvent avoir. C’est pourquoi j’ai toujours été très
attentif aux détails : le métier funéraire, c’est une somme de petites attentions, une somme de gestes, de prises de paroles,
qu’il faut réussir.
L’attitude des porteurs, pour ne prendre qu’un exemple, cela n’a l’air de rien, mais c’est tout un savoir-faire à organiser
et à encadrer, au sens littéral du management, parce que les porteurs, comme tout un chacun, ont aussi besoin de reconnaissance dans leur travail. Un jour, un de mes porteurs n’a pas reçu le pourboire qu’il espérait, mais le fils de la défunte l’a remercié pour la qualité de son travail, en ajoutant que cela l’avait touché. Le porteur s’est tourné vers moi pour me dire : « Tu vois ?
Ça, ça vaut tous les pourboires ! »
Mais les familles avaient-elles conscience de vos partis pris ?
R.C. C’est un peu triste de le constater, mais les Français ne sont toujours pas disposés à payer pour le service. Au départ,
j’avais décidé d’appliquer rigoureusement le même taux de marge à toutes les prestations comme à tous les produits – la même
marge sur un cercueil que sur le temps des porteurs ou du maître de cérémonie. Mais j’ai dû me rendre très rapidement à
l’évidence : sur le devis, cela faisait tiquer les clients. Cela ne les choquait pas de débourser une grosse somme pour le cercueil,
mais ils ne comprenaient pas le montant destiné aux porteurs… Donc je me suis résolu à faire comme mes confrères : de
grosses marges sur les produits, pratiquement aucune marge sur les prestations. Mais cela enferme le secteur dans un cercle
vicieux : on paie mal les porteurs, donc on continue d’assurer un service trop souvent passable. C’est d’autant plus regrettable
que la faute en incombe, au moins en partie, aux consommateurs eux-mêmes.
Aujourd'hui L’Autre Rive compte plusieurs antennes et cherche à se développer en franchise. L’enseigne a-t-elle
modifié le secteur des pompes funèbres ?
R.C. Oui, elle a fait changer les choses, même si les effets de ces changements restent encore limités. En matière de
design, notamment, L’Autre Rive a indéniablement déclenché quelque chose en France. Nous avons été les premiers, par
exemple, à proposer des cercueils en bois brut ou en carton. Ce sont aujourd'hui des produits de plus en plus répandus.
En revanche, pour ce qui est des pratiques du métier elles-mêmes, je pense que les choses n’ont pas beaucoup évolué.
Mais nous avons posé des jalons, lancé des débats qui, sur le long terme, influencent ou influenceront le secteur funéraire.