Les coopératives funéraires arrivent en France
Depuis 2016, le secteur funéraire connaît une petite révolution – très discrète et très lente, mais qui, à terme, pourrait influencer le marché de manière significative. Cette année-là, en effet, s’est ouverte, à Nantes, la première coopérative funéraire à voir le jour en France. Très répandu au Québec et en Suède, ce type d’entreprise privilégie une approche la plus humaine possible des funérailles, le partage du pouvoir avec les salariés, mais aussi des partenaires extérieurs, et cherche à pratiquer les prix les plus justes possibles.
Très motivées par l’idée d’instaurer enfin la confiance entre les familles endeuillées et le professionnel funéraire, les créatrices de la Coopérative funéraire de Nantes ne sont plus les seules à défendre ce modèle. Olivier Gallet (photo), formé aux sciences politiques et sociales, et son épouse Edileuza Gallet, psychanalyste, s’intéressaient depuis longtemps à la question des cérémonies laïques, presque totalement absentes dans les prestations des pompes funèbres. Dans un premier temps, ils ont décidé d’organiser en France les Cafés mortels créés par le sociologue suisse Bernard Crettaz, des réunions ouvertes à tout un chacun pour évoquer le deuil, les funérailles ou tout autre sujet autour de la mort.
Ces rencontres leur permettent recueillir les points de vue de nombreuses personnes, qui ont font évoluer leur propre regard : « Nous avons fini par nous dire qu’en réalité, c’est l’ensemble du rite funéraire qu’il fallait revoir, raconte Olivier Gallet, sachant que pour nous, le rite ne se limite pas à la cérémonie, mais recouvre l’ensemble de la prise en charge du deuil, qui commence dès le moment du décès. » Entrepreneur dans l’âme, Olivier Gallet se lance, à la fin de l'année dernière, avec son épouse dans la création d’une coopérative funéraire à Talence, en Gironde, qu’ils baptisent Syprès. Cette forme d’entreprise convent bien à leurs motivations « qui sont clairement idéologiques », confirme le cofondateur, même si d’un point de vue administratif, cela ne facilite ni la gestion ni les levées de fonds. Mais le statut de SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif) qu’ils ont choisi favorise l’implication de nombreuses parties prenantes : les salariés, mais aussi les pouvoirs publics régionaux, es familles, les célébrants, c'est-à-dire des musiciens ou des artistes qui interviennent lors de cérémonies. « La plupart d’entre eux sont animés par cet esprit militant, insiste Oliver Gallet, et leur motivation principale est de s’investir dans ce renouveau rituel. »
Start-up innovante. Depuis son ouverture, Syprès a mis l’accent essentiellement sur le rituel, préférant externaliser les autres prestations. Pour Oliver Gallet, le renouveau rituel constitue une telle priorité qu’il a même ouvert, dans le sillage de la coopérative, un « lab » destiné à structurer un programme de recherche et développement sur le sujet. Le président de Syprès revendique d’ailleurs le statut de start-up innovante en sciences sociales. « Nous voulons comprendre le secteur dans lequel nous sommes actifs et explorer des sens nouveaux, précise-t-il. Nous voulons nous adresser aux professionnels du funéraire, leur des formations, plus ouvertes que celles, très normées, qui sont pratiquées aujourd'hui, afin de favoriser, notamment, l’émergence de nouveaux métiers, par exemple celui de maître de cérémonies laïques que nous-mêmes nous avons imaginé. »
A Strasbourg, c’est aussi dans la mouvance de l’innovation sociale, structurée sous le label de Start-up Territoires, qu’une autre initiative est née. Parmi d’autres sujets citoyens, la possibilité de monter une coopérative funéraire a éveillé l’intérêt de plusieurs participants, venus d’horizons. « Notre projet est motivé avant tout par la volonté de pouvoir répondre aux souhaits des familles, raconte Valentine Ruff, membre de ce petit collectif et active dans les secteurs de l’urbanisme et de l’environnement. Or, on voit bien que la concentration des grandes entreprises funéraires conduit forcément à une banalisation et une standardisation des cérémonies et des services. Nous ne voulons plus être dépendants de ce type de prestataires. »
Non à la standardisation. La personnalisation des cérémonies est iune volonté d'autant plus forte en Aslace que cette région peut se prévaloir d'une longue tradition multioconfessionnelle, tout en étant de plus en plus sensible au manque de cérémonies laïques dignes de ce nom. « Notre ambition est de pouvoir apporter à chacun une réponse adaptée », poursuit Valentine Ruff. Ce parti pris a d’ailleurs été pris en compte dans la future structure économique de la coopérative : l’objectif n’est pas nécessairement de proposer des tarifs moins élevés que les entreprises classiques, mais, à budget équivalent, d’être plus disponible pour les familles, afin de passer tout le temps nécessaire à imaginer la cérémonie réellement adaptée.
Deux personnes ont d’ores et déjà suivi les formations officielles, prêtes à devenir les premiers salariés de la coopérative, dont l’ouverture était prévue, à l’origine, en septembre de cette année. Le projet, porté pour le moment par l’association Maintenant, l’après, a néanmoins pris du retard à cause des difficultés à réunir des financements. « Nous apprenons en marchant et nous sommes en train de nous créer tout un réseau autour du projet », souligne Valentine Ruff, qui raconte aussi que, via l’association, les contacts avec les familles se multiplient, par exemple pour encourager et aider les gens à rédiger leurs dernières volontés, ce qui reste la meilleure garantie pour une cérémonie personnalisée.
Les membres de Maintenant, l’après peuvent aussi compter sur les conseils des autres coopérateurs funéraires, déjà actifs ou en devenir. D’un bout à l’autre de la France, tous ces entrepreneurs de connaissent et se parlent. Ils se sont même réunis en décembre 2019 pour mettre en commun leurs expériences. Mais si tous partagent un même état d’esprit, ils constatent aussi que leurs projets respectifs poursuivent tous des objectifs plus ou moins différents. Pas assez comparables, en tout cas, pour imaginer de se réunir dans une sorte de groupement des coopératives, qui pourrait pourtant les rendre plus forts face à la concurrence. Mais ce n’est peut-être que partie remise : tous se disent ouverts au dialogue et à de nouvelles initiatives éventuelles.
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