Entretenir la mémoire des morts

Rouleau fune raire du bienheureux vital abbe de savigny archives nationales ae ii 138LES ROULEAUX DES MORTS

Au Moyen Age, les rouleaux des morts (rotula (rotulae mortuorum) étaient des parchemins transmis de monastère en monastère à l’occasion de la mort d’un moine.   
Un peu à la manière d'un faire-part de décès, le nom du moine et quelques détails biographiques étaient inscrits par le bibliothécaire ou l’abbé en haut d’un parchemin en forme de rouleau. Ce petit texte, appelé encyclique, se terminait toujours par une demande de prières.
Le rouleau est alors confié à un messager, qui l’apporte dans tous les monastères et toutes les églises faisant partie de la même communauté spirituelle, les bénédictins par exemple. A chaque étape, le monastère, l’abbaye ou l’église y inscrit un accusé de réception (appelé titulus) et assure qu’il ou elle va prier pour le défunt.

La pratique des rouleaux des morts s'étend  essentiellement du IXè  au XIVè siècle, mais les plus anciens témoignages remontent  au VIIIè siècle, avec les lettres de saint Boniface, vers 747 ou 748, et en trouve encore des traces jusqu'en 1532, avec un rouleau anglais dédié à John Slip, abbé de Westminster. 

Elle concerne surtout le nord de l'Europe : la France, l'Allemagne et les Îles Britanniques. La pratique en  est très peu répandue en Italie, en Espagne ou au Portugal.

Les rouleaux des morts trouvent leur origine dans le dogme catholique de la communion des saints, qui englobe l'ensemble des croyants, vivants et morts, unis par un lien mystique. Les prières de toutes les communautés visitées concrétisent ce lien entre les vivants et les morts, car elles sont censées favoriser le bonheur ou la meilleure vie possible des défunts dans l'au-delà, comme le sont également les messes et les autres obligations envers les morts.
Les rouleaux des morts, en faisant office d'avis nécrologiques entretiennent aussi les liens de la communauté monastique elle-même : si l'on veut prier pour les défunts, il faut bien connaître leurs noms.

Tous les morts n'ont pas droit à un rouleau pour leur décès. Ceux qui appartiennent aux ordres mendiants –franciscains et dominicains principalement – ne donnent pratiquement jamais lieu à un avis nécrologique, peut-être parce que ces communautés-là se réunissaient régulièrement en chapitres généraux et s’échangeaient en ces occasions des nouvelles diverses, y compris sans doute les noms de leurs défunts.
Pendant longtemps, les monastères ont réalisé ces rouleaux pour les moines exemplaires, ceux dont on était sûr qu’ils iraient au Paradis. Mais à partir XIIIè siècle, les rouleaux ne sont plus réservés qu’aux ecclésiastiques importants, les chanoines ou les abbés. Plus le statut ou le prestige du défunt est élevé, plus le nombre de messages qu’on écrit sur le rouleau est important.
Certains rouleaux sont aussi consacrés à des laïcs, c'est-à-dire des personnalités non religieuses. Ils servent alors honorer la mémoire de fondateurs ou de bienfaiteurs d’institutions religieuses, principalement des nobles – rois et reines, ducs, comtes et comtesses, etc. Au Moyen Âge,  beaucoup de nobles allaient se retirer dans un couvent ou un monastère à la fin de leur vie, afin de mourir pieusement. Un seigneur pyrénéen, par exemple, le comte Guifré II de Cerdagne se retire en 1035 à l’abbaye de Saint-Martin du Canigou qu’il avait lui-même. Quand il meurt, 14 ans plus tard, on lui consacre un rouleau, pour rappeler sa générosité.

RouleauxLe style des encycliques, c'est-à-dire des avis nécrologiques, est souvent très convenu et dithyrambique, sans détail biographique particulier, qui permettrait de mieux connaître le défunt. Il est quelquefois agrémenté d'un filigrane fleuri ou quelques enluminures, parfois une peinture.
Dans les églises et les monastères qui réceptionnent les rouleaux, c’est en général un clerc, par exemple l’aumônier ou le chantre, ou un jeune moine qui écrit le titulus, l’accusé de réception assurant que la communauté s’engage à prier pour le défunt. Ce titulus peut être versifié, parfois avec des références érudites, des allusions mythologique ou même des jeux de mot – un moine s’excuse d’ailleurs, dans un rouleau, d’avoir écrit le titulus sous l’emprise du vin… Au fil des ajouts, les écritures et les couleurs différentes s'accumulent.
Mais avec le temps, les formules stéréotypées s’imposent de plus en plus. Seuls des amis proches du défunt ou ses disciples rédigent encore des formules de condoléances personnalisés.

Les rouleaux des morts sont réalisés avec du parchemin, enroulé autour d’un cylindre de bois. Il se déroule de manière verticale, ce qui le distingue du volumen, qui lui se déroule horizontalement. Ce procédé est très ancien : les plus vieux exemples connus sont les rouleaux de la Mer Morte, datés entre le IIIè siècle avant notre ère et le Ier siècle de notre ère. Supports matériels des textes bibliques, les rouleaux gardent longtemps une connotation religieuse. Ils servent ainsi à transcrire les chants liturgiques, mais on les utilise aussi pour écrire des chroniques ou archiver des données économiques et administratives.
Les rouleaux font entre 18 à 27 centimètres de large. On n’écrit généralement que sur une seule face du parchemin, le côté chair. Quand celui-ci rest rempli, on en coud un autre à sa suite. En moyenne, un feuillet mesure environ 65 centimètres de long : pour un rouleau d’une dizaine de mètres, il faut coudre une quinzaine de feuillets. Le plus long rouleau qui qui soit parvenu jusqu’à nous mesure 30 mètres de long et comporte 800 titulus.

Le porteur de rouleau est en général un frère laïc, qui voyage sans doute à pied ou à dos de mulet, parfois pendant plusieurs mois, voire plus d’une année.. Les détails de ces voyages nous sont largement inconnus, même si certains porteurs ont laissé quelques conseils pratiques pour leurs homologues, en particulier sur le qualité de l’accueil : telle église ne mérite pas le détour, car on y est mal reçu, il ne faut pas hésiter, en revanche, à passer par telle autre, car on y est bien nourri.
A la fin de sa mission, le porteur ramène le rouleau à son point de départ. Celui-ci, maintenant qu’il a rempli son usage, ne fait plus l’objet d’aucun soin particulier.  

Pour en savoir plus
♦ L’historien Jean Dufour a publié de nombreux articles sur le sujet, ainsi que des recueils quasi complets des rouleaux des morts aux Editions De Boccard, à Paris.
♦La revue Tabularia, de l’université de Caen, a consacré un article au style littéraire des rouleaux des morts, accessible ici.

Crédits photos : Archives Nationales.
Le premier document reproduit le rouleau funéraire du bienheureux Vital, abbé de Savigny, mort le 16 septembre 1122.

 

 

 


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